Blog de Véronique Duval
22 novembre
Je fouille dans les tiroirs de ma mémoire, je scrolle sur le trackpad, tombe face à mes obsessions, comme dans ce texte daté du 18 mai.
La ville est-elle l’avenir de l’homme ?
C’est ce que l’on nous serine, dès l’école : « l’avenir, mon enfant, est en métropole ».
Demain, on rendra les villes intelligentes.
Tu piloteras ton appart de ton smart
Un drone livrera ta pizza fumante.
Les pubs s’appelleront du street art !
Evaporées, les particules et la pollution. Effacées, les tentes du canal Saint-Martin
Y’aura plus de panne de RER demain.
Y’aura des flux, des flux, des flux.
De fric, du trafic et de la fibre optique
Tu iras de métropole en métropole,
En TGV et trottinette électrique,
L’ordinateur conduira ta bagnole. La smart city est l’avenir de l’homme
Comment ça, tu veux pas vivre en métropole ?
Et tu veux vivre où alors ?
Dans la jungle, y’en n’a plus, chez les Indiens, y’en n’a plus. Dans les ïles, y’en n’a plus.
Que dis tu ? que tu préfères la campagne ? Tu veux te promener dans les bois, te baigner dans la rivière ? Faire pousser des légumes, des fleurs dans ton jardin extraordinaire ? Mon enfant, crois tu encore ces vieilles fables ?
Crois tu trouver encore quelque part un village
avec l’école, la gare, la poste, le café et le maire ?
Ils sont comme les Indiens, les forêts, les glaciers
les ours et les requins blancs, les alouettes des prés
Absents des pensées de nos grands financiers.
Et celui-ci, du 13 avril
L’avènement du totalitarisme
En 2050, mon fils aura 50 ans. Lui et ses contemporains vivont dans un monde où les glaciers auront fondu. Tous, disparus. Plus de glaciers sur terre en 2050. Ce sont les prévisions au rythme actuel : 350 milliards de tonnes de glace prennent le chemin de la mer chaque année. 350 milliards en 2017, 350 milliards en 2018, 350 milliards en 2019 et encore en 2020, 2021…
En conséquence, et en conséquence de la fonte du Gröenland, de l’Antarctique, etc. le niveau de la mer se sera élevé de plusieurs mètres. Les grandes villes côtières seront sous l’eau. Les îles du Pacifique, où s’étaient établis les peuples navigateurs de Mélanésie, auront été submergées. Adieu lagon, adieu corail, adieu Marquises, Bora-Bora…
En conséquence, les grands fleuves d’Asie qui prennent leurs sources dans le massif de l’Himalaya seront asséchés. Le Brahmapoutre, le Gange, l’Indus, le Yangtze, le Mékong… dix fleuves sont menacés et avec eux les populations qui vivent sur leurs rives.
Si les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître – et c’est le cas- si les discours continuent d’affluer sans les actes -et c’est également le cas, bref à moins d’un miracle – par essence improbable- d’ici 30 ans, il n’y aura plus de grands fleuves, plus de glaciers, et beaucoup moins d’iles dans les océans.
D’ici là, les dernières forêts primaires auront elles aussi été effacées de la surface de la terre. Avec elles, des millions d’espèces vivantes animales et végétales se seront éteintes.
En 2050, mon fils et ses contemporains tenteront de vivre dans un monde sans glacier, sans grand fleuve, sans forêts, sans ours blancs, sans abeilles, sans salamandre, sans orang-outans, sans outarde canepetière, sans Sapin de Baishanzu, sans Perce-oreille des Seychelles, sans Manakin de Bokermann, sans Roussette, sans Héron impérial, sans Tortue terrestre, sans Paresseux nain, sans Caméléon tarzan, sans Cercopithèque de Roloway, sans Chauve-souris des Seychelles, sans iguane terrestre de la Jamaïque, sans Orchidée des îles Caïmans, sans Rhinocéros de Sumatra, sans Arbre corail, sans Bécasseau spatule, sans Ibis chauve, sans alouette, sans gibblon, sans triton, sans tigres ni marsouins, sans ange de mer ni sans possson-scie, ni Propithèque soyeux, no crapaud, no sterne…no way.
Grâce à cet état des lieux, on sait aujourd’hui qu’une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur huit, plus d’un amphibien sur trois et un tiers des espèces de conifères sont menacés d’extinction mondiale.
(Dans la dernière édition de la Liste rouge mondiale (version 2018.2), sur les 96951 espèces étudiées, 26840 sont classées menacées.
Parmi ces espèces, 40% des amphibiens, 14% des oiseaux et 25% des mammifères sont menacés d’extinction au niveau mondial. C’est également le cas pour 31% des requins et raies, 33% des coraux constructeurs de récifs et 34% des conifères.
Dans cet état des lieux, la France figure parmi les 10 pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées : au total, 1301 espèces menacées au niveau mondial sont présentes sur son territoire, en métropole et en outre-mer.)
En 2050, dans ce monde aride, surpeuplé, aux ressources raréfiées, les démocraties auront problablement elles aussi disparu. Des drones surveilleront les populations -au nom de la sécurité- Les manifestations ne seront pas autorisées – au nom de la sécurité- les récalcitrants seront emprisonnés, exilés ou éliminés. Les migrants seront suspects. Les informations seront ultafiltrées par des agences autorisées. La propagande, les rumeurs et la manipulaiton de l’opinion seront omniprésentes. Il ne sera plus question de liberté, mais de sécurité. De fraternité, mais de sécurité. Il ne sera plus question d’égalité.
Mardi 1er octobre
Nous avons créé les éditions La nage de l’ourse, en 2017, pour donner la parole aux acteurs du monde qui vient. Mus par la conscience que les menaces s’accumulaient, pesant sur les jeunes générations et rendant impératif un autre rapport au monde. Notre première auteure a 30 ans. Le second a plus de 80 ans. Le 5e auteur vient d’avoir 20 ans. Elles et ils célèbrent la vie, notre capacité de métaboliser le changement, la beauté du monde.
Confrontés à la nécessité d’une transformation de nos sociétés, nous savons que des solutions existent et s’inventent. Nous agissons depuis quelques années afin de mettre en cohérence nos convictions, nos valeurs et nos actes. Inquiets devant le déni de réalité de la plupart de nos dirigeants, devant leur indifférence face aux alertes des scientifiques du monde entier, nous entendons depuis plusieurs années se répandre les discours de haine, de repli sur soi, d’accusations des autres.
Notre colère montait à voir comment étaient maltraités les jeunes qui, ici et là, ouvraient la voie vers des modes de vie cohérents, manifestaient, s’opposaient à des projets d’un autre temps. Nous nous souvenons de notre sidération en apprenant la mort de Rémi Fraisse, naturaliste tué par un lancer de grenade de désencerclement.
Depuis, l’urgence écologique éclate à la face de tous. En réponse à cette urgence, le déni continue, se transforme, se renforce. La jeunesse est priée de se résigner à son sacrifice sur l’autel du profit immédiat. On ment, on ricane. Danse macabre face à une catastrophe annoncée.
Tout de même. Citoyenne éduquée dans les écoles et universités de la République, je ne pensais pas voir un jour, sur les télévisions et les radios de ce pays, le mépris, l’insulte et le concert de hargne tenter de discréditer une jeune fille de 16 ans. Certes, je n’écoutais plus les éditorialistes sentencieux qui depuis des années occupent les plateaux, offrant le spectacle affligeant de leur soumission devant les puissants. Mais je ne pensais pas lire un jour -merci à Daniel Schneidermann de le signaler-ce que rapporte Samuel Gontier, journaliste à Télérama, sur son blog. Ces « chiens de garde » n’ont pas de mots assez durs pour Greta Thunberg, qui parle haut et clair. Mise à mort symbolique qu’un écho sinistre relaie. Je ne pensais pas voir un jour un homme riche, blanc, respectable, ingénieur des ponts et chaussée, directeur de banque et président des amis d’un grand musée d’art contemporain parisien, appeler à abattre une enfant de 16 ans. Qu’un personnage possédant autant de capital financier, symbolique et relationnel se comporte comme une petite frappe en dit long sur l’état de santé de notre civilisation.
Ayant été journalisme, je ne pensais pas non plus apprendre un jour qu’une chaine d’information juge bon de diffuser en continu le discours de haine d’un autre homme, déjà condamné pour provocation à la haine raciale.
Je ne pensais pas qu’un jour, je serais témoin qu’un concert de vieux mâles blancs puisse former un précipité aussi trouble. Ce qui pose question sur l’éducation qu’ils ont reçue, dans les grandes écoles de notre République.
Nous continuerons à porter la parole de ceux qui agissent pour que le monde qui vient ne soit pas le leur, rance et cliquetant de chaînes, mais celui de femmes et d’hommes lucides et conscients de nos erreurs, de nos faiblesses, et de notre richesse, celle d’un monde prodigieux et aujourd’hui gravement menacé.
Dimanche 21 juillet
Faut pas le dire.
Faire les soldes dans de petites boutiques, puis chez Zara, H&M, Mango, (ou autre marque de « fast fashion »). Déambuler parmi les amoncellements de tissus étiquetés made in China, made in Bangladesh, made in India… S’enivrer, puis s’écœurer de fantaisie, de longueurs, de couleurs, de plumetis, de fluidité. Palper des imprimés, des acryliques, des viscoses, des nylons élasthanés. Voir apparaitre, au-delà de cette florissante apparence, les cartons dans toutes les villes de France et d’Europe où ces chaines sont présentes. Se représenter les containers traverser les mers sur d’énormes porte-containers. Voir les usines, semblables à celles du Rana Plaza, des jeunes femmes du même âge que celles qui ici palpent, essayent, dédaignent. Des jeunes femmes rivées à leur machine, à leur chaine. Derrière des entrées grillagées. Des rivières fumantes, chargées de produits des filatures. Des cloaques inhabitables, à l’horizon des usines textiles. Faire les soldes, ce rituel d’abondance, de pouvoir d’acheter. Et voir apparaitre, non pas la mondialisation « heureuse », comme nous l’ont vendue il y a à peine 10 ans des hommes très bien éduqués et très bien payés. Mais son visage grimaçant, hideux. La mondialisation aujourd’hui. Celle qui est imposée maintenant, avec ses traités, ses traites, ses traitres. Mais ça, faut pas le dire.
Samedi 18 mai
Les premiers de cordée
En 2050, tous les glaciers auront fondu.
Les premiers de cordée sans glaciers
ils auront l’air de quoi ?
Avec leurs crampons
de chez boucheron
leur besace
siglé versace
ils vont glisser dans la crevasse
rayer leur rolex sur le silex
bon débarras.
Si vous croyez qu’avant ça
ils auront décollé pour Mars,
vous vous foirerez le doigt dans l’œil
jusque là.
Mardi 9 avril
Ça devient lassant
tous ces glaciers qui fondent à grande vitesse (350 MILLIARDS DE TONNES de glace prennent le chemin de la mer chaque année).
Sous les glaciers, les rochers.
Sous la crise écologique, climatique, sociale,
La vérité nue
sur nous.
Des hommes brutaux arrivent au pouvoir, portés par la grande marée nauséabonde –est-ce la fin d’un monde ?
Dans cette mélasse, nous voilà pris dans la nasse des intérêts d’autres hommes brutaux et très riches. Des hommes des femmes des clans klan klan.
On additionne et on soustrait
Des bénéfices et des cancers
Des montagnes et de l’or
Des armes et du football
Des enfants et des larmes
Des montagnes nucléaires et des mers de déchets
Des vies amères et des espérances pétrolières
Des forêts et des instincts primaires
Des cancers paradisiaques et des dividendes artificiels
Des bijoux technologiques et des camisoles sucrées
Des bactéries du silicone et des pilotes de drones
Des mensonges chimiques et des moutons électriques
Ya plus de place pour les baleines au cimetière marin
Les parois dégoulinent de balivernes dans la caverne
d’Ali-baba et les 50 voleurs
Tout ça en, couleurs
Et en direct automatique
Sous le radieux soleil du réchauffement climatique.
Lundi 1er avril
Bonne nouvelle : l’Etat a décidé de sortir des pesticides. De TOUS les pesticides de synthèse. Le premier ministre l’a annoncé lui-même. Il s’est engagé publiquement.
La sortie comprend deux étapes :
1 Accompagnement des agriculteurs : information, formation à d’autres pratiques, aides financières pour couvrir le déficit de récolte des premières années.
2- interdiction ferme d’utilisation des pesticides, avec peine de prison et amende à l’appui, à l’issue de cette première étape qui s’étale sur quelques années.
Poisson d’avril ? Utopie ?
Non réalité, réalité vraie, tangible. Mais pas chez nous. En Inde, dans le petit état himalayen du Skkim, qui a initié cette démarche en 2003. Les pesticides de synthèse sont bannis depuis 2016. C’est le premier État bio au monde ! Les agriculteurs ont retrouvé des rendements suffisants. La biodiversité est préservée. Pour protéger la forêt, qui couvre près de 50 % de l’État, les autorités ont lancé en 2006 une importante campagne de reforestation.
De plus, le Sikkim se passe des sacs plastique, chacun utilise des sacs en tissu et des ustensiles en matériaux durables.
Tout cela, par la volonté politique. d’un premier ministre, Pawan Kumar Chamling, réélu depuis à 5 reprises.
Et chez nous ? Au mépris des alertes scientifiques, en dépit des mobilisations citoyennes, nos gouvernants et nos administrations s’obstinent dans le déni. Avec une stupéfiante indécence, on les voit faire diversion, jour après jour. Faut-il rappeler qu’on annonce une extinction des insectes ? Qu’on compte par centaines de millions la disparition d’oiseaux d’Europe ? Que les alertes sanitaires sur les effets cocktails des pesticides – présents dans les sols, les eaux, tous les milieux- se multiplient ? Pendant l’écocide, les affaires continuent. Sommes-nous capables de changer ce système ?.
Lundi 18 mars
Nos enfants nous accusent : nous leur volons leur avenir, nous n’avons pas su, pas pu, pas voulu changer de cap et voilà. Des années qu’on sensibilise les jeunes générations avec des chansons, des projets d’école, plus de classes vertes ça coûte trop cher, mais des projets de récup, de tri, de jardinage. Des années qu’ils regardent les derniers ours blanc, les derniers éléphants, les derniers rhinocéros, les derniers tigres blancs et les orang-outans. Ils les regardent dans des livres imprimés en Chine et sur des écrans fabriqués dans des usines où l’on enferme les gens. Ils pleurent les dauphins sacrifiés et les tortues géantes, les plastiques déversés et avalés par les oiseaux des mers.
On les aime pourtant nos enfants, on les aime on les aime et on les spolie. Alors on défile- ou pas. On casse les vitrines- ou non. On remplit le frigo. Et c’est reparti.
Chacun individuellement s’efforce d’offrir le meilleur à ses enfants. Un toit. De la nourriture, des vêtements, des soins. Et tout le reste. Individuellement remplir le caddy, la main invisible du marché régulera l’ensemble et remplacera la providence et on vivra dans un monde rationnellement régulé par la main invisible ainsi soit-il. Offrir, faut ce qu’il faut et tout le reste : loisirs, vacances, sport, Eurodisney, tablettes et téléphones pas encore cassés, objets vus à la télé, dans les grandes surfaces de jouets par milliers dans les petits souliers.
Objets fabriqués par milliards dans les grandes usines du monde, à l’autre bout du monde, à grandes lampées de pétrole, à grandes pelletées de métaux rares, de métaux lourds, de bisphénol A, etc. A grandes fournées de jeunes filles aux mains agiles, de femmes et d’hommes enfermés dans les ateliers grillagés, pour des marques aux enseignes répandues dans nos rues piétonnes mignonnes. Objets chargés dans des cartons par millions, dans des containers par centaines de milliers sur des cargos qui brûlent des fleuves de fuel lourd, la mer c’est grand et ça bouge tout le temps alors des containers tombent, les cargos parfois chavirent et voilà comment on a des marées noires sur nos plages et des bagnoles neuves au fond de l’eau avec des téléphones et quoi encore, la main invisible du marché est muette aussi, elle est partout mais inutile de la solliciter elle ne répondra à aucune question.
Dimanche 17 mars
Où étiez-vous le 16 mars ?
Où étiez-vous ce samedi, jour de la « marche du siècle », lendemain de la grève mondiale pour le climat des jeunes ?
J’ai regardé autour de moi, dans le cortège qui avançait, tranquille, dans les rues de la ville. J’ai vu des amants marcher par paire, des amis se héler. J’ai vu des inconnus proposer de relayer les porteurs de banderoles. « Ni nucléaire, ni effet de serre
, entrons enfin dans la transition. »
J’ai vu une planète blessée, porter par des brancardiers. J’ai vu une toute petite fille tenir un carton, assise sur le siège d’un vélo tenu par son père. « Pas de nature, pas de futur » J’ai vu des familles avec poussettes tenir des pancartes colorées. « Je veux des poissons dans la mer ». Quand je serai grand, je voudrais être VIVANT. » J’ai vu des élus, de la ville, de l’agglo, de la région. J’ai vu des militants donner des tracts sur le glyphosate. J’ai vu un homme marcher seul dans la foule, son panneau brandi, jusqu’au bout. « Sortons de l’âge du pétrole ». J’ai vu des artistes. J’ai vu des mamies et des papis.
Des phrases étaient tracées à l’encre sur un carré de carton. Des fleurs en papier, des arbres dessinés « Sans planète, on aura l’air con ».. « La nature n’est pas qu’un joli fond d’écran ». « Ta planète, tu la préfères bleue ? saignante ? Ou bien cuite ? » Stop déforestation. Forêt= poumon ». « Maintenant ou jamais ». « OISEAUX, POISSONS, REVOLUTION ». « Vos actions, notre poison ».« Nique pas ta mer ». « L’humanité court à sa perte, mais elle y va en voiture ».
La foule portant ces panneaux avançait sous le radieux soleil du réchauffement climatique.
Des gens attablés aux terrasses des cafés nous regardaient passer.
Une marée noire avançait vers les côtes. 2500 voitures reposaient dans des containers par 4000 m de fond.
L’Assemblée nationale repoussait l’interdiction « de la production, du stockage et de la vente de produits phytopharmaceutiques destinés à des pays tiers et contenant des substances prohibées par l’Union européenne ». Les firmes de produits pharmaceutiques finançaient des partis politiques européens.
Les députés rejetaient l’inscription dans la loi de l’interdiction du glyphosate. L’Agence nationale de sécurité sanitaire continuait à mentir. Le Sénat continuait à rejeter toute limitation d’usage des produits. Le taux de carbone dans l’atmosphère terrestre continuait à grimper.
J’ai regardé autour de moi, ce samedi 16 mars. On s’est compté. On était 1300 à La Rochelle. 350 000 dans toute la France selon Greenpeace. J’ai compté et recompté. Dans ma famille, on était 15%. Dans mes amis, davantage. La moitié peut-être ? En repartant de La Rochelle, nous sommes passés devant la grande zone commerciale. Il y avait des voitures partout. Normal, c’est samedi et les bus ne passent pas dans la zone. « L’humanité court à sa perte, mais elle y va en voiture ». Il parait que notre cerveau est programmé pour ça. Se gaver, jusqu’à en crever. Pas réagir aux phénomènes globaux, se démener pour remplir le frigo. C’est pas qu’on n’aime nos enfants, non, c’est pas ça. Dites-moi, où étiez-vous le 16 mars ?
Lundi 11 mars
Dimanche. C’est le printemps. On veut des coquelicots. Mais aussi des abeilles, des oiseaux, des grenouilles, des bleuets. Votre enfant vous parle de Greta Thunberg, la jeune Suédoise qui a fait un discours à la COP 24. Depuis, chaque vendredi, des jeunes défilent pour le climat et la biodiversité, dans plusieurs pays du monde. On va voir le discours de Greta. Il est net, clair, précis. Pourquoi, alors que cette question devrait être La priorité, n’agissons-nous pas ? Si le système ne peut répondre à ce défi, alors changeons le système, déclare-t-elle en face à ces adultes soi-disant « responsables ». Vous prétendez que vous aimez vos enfants, mais vous leur volez leur futur, dit-elle aussi.
Lundi. Jour de travail. C’est réunion. Il est question d’aide aux entreprises, de label pour l’industrie, de discours inaugural. Business as usual. Dans les médias, les hommes d’affaires, les hommes aux affaires se taisent. Castaner, le ministre de l’éducation ordonne un débat sur l’environnement en classe le vendredi 15 mars, jour de manifestation. Le même jour, un appel à la grève scolaire et mondiale est lancé. 300 chercheurs se joignent au mouvement. « On a alerté mille fois, on a tout essayé, pourtant le péril ne cesse de croître » disent-ils. Castaner, si tu savais…
Jeudi 28 février
J’ai passé quelques jours à la campagne, en compagnie d’amis. Ces derniers jours de février ont été particulièrement ensoleillés, Le 27, les radios annonçaient un record de chaleur qui a dépassé le précédent, datant de 1960. La campagne en question est un vieux pays, où des chênes pluricentenaires s’élèvent encore au bord des routes. Les oiseaux traversent d’une haie à l’autre juste à votre arrivée. À L’heure de la promenade, par les chemins creux, on croise des papillons, on aperçoit un lièvre ou des chevreuils dans le champ, près de la lisière du bois et la nuit, lorsqu’on sort marcher sous les étoiles, on entend les chouettes. C’est à une paire d’heures de la capitale et on y rencontre des Parisiens venus s’inventer une autre vie. Le village compte moins de cent âmes et s’étire le long d’une rue. À son extrémité, un poteau indicateur surgi d’un lointain passé annonce une gare à 900 mètres. C’est maintenant une maison. À côté de la mairie, la petite école aux grandes fenêtres, datant du début du XXe siècle, est louée à une famille. La ville la plus proche est à moins de 10 km, on y trouve des supermarchés et la Poste. Lorsqu’on se promène dans les vieilles rues du centre-ville qui murmurent Flaubert, on voit des volets clos et plusieurs commerces fermés. Le médecin ne prend plus de nouveaux patients. Toute cette campagne témoigne d’une promesse ancienne, celle d’amener le Progrès et la civilisation sur tout le territoire de la République : gare, école, poste et télécommunications, soins et services publics. Promesse maintenant révoquée sans préavis au nom de la métropolisation. Fermeture de maternité, d’hôpital, de classes : les journaux régionaux sont pleins de faits semblables et de récits de mobilisations héroïques qui ne rencontrent que l’indifférence de l’État. « Lorsqu’on choisit de vivre à la campagne, il ne faut pas s’attendre à avoir les mêmes services qu’en ville », n’est pas, M. le Président ?
Au cours d’un de nos déjeuners ensoleillés, le réchauffement climatique s’invita dans la conversation. On m’interrogea sur mon livre, sur la maison d’édition. Avais-je déjà trop parlé des arbres et des insectes ? Une amie me prit à part : les écologistes disent des choses très justes, me déclara-t-elle, mais j’aurai un reproche à leur faire : leurs paroles manquent d’humour.
21 février
Hier, en face de la gare de La Rochelle, un prunier, entouré sur deux côtés de murs d’immeuble, avait décidé de fleurir en dépit de tout. Aujourd’hui, les premières fleurs sont apparues aussi sur les pruniers du verger . Sur une branche encore nue, j’ai voulu cueillir le parfum de l’une d’elles : un jeune miel décidé m’a sauté aux narines. Le premier papillon de l’année a fait une apparition, ses ailes d’un jaune vert pâle dans le soleil. À part lui, peu d’insectes. Dans son livre Les arbres entre visible et invisible, Ernst Zücker avance que les plantes sont sensibles aux sons produits par les oiseaux et les insectes. Chants, vrombissements et bourdonnements aident les arbres et autres végétaux à accomplir les étapes de leur cycle et à se défendre contre les maladies. L’être humain aussi serait sensible à ces messages sonores, tout comme aux messages olfactifs des plantes. Plusieurs études permettent de le penser sérieusement. Dans l’appauvrissement global que nous subissons, cette information mérite d’être proclamée.
19 février
Je me réveille chaque nuit. Des heures durant, je ne dors pas, je pense. Parfois je me lève, j’écris. A l’ancienne : je trace des signes sur une feuille. Les feuilles s’entassent. Le jour, j’essaie des trucs. J’ai trop parlé de ces sujets, je suis cataloguée : Cassandre écolo, celle qu’on écoute un peu gêné. Quand même, je tente : pour les insectes, vous savez ? Les arbres, ça vous branche ? Et le glacier ?
On me répond souvent : oui. On sait. Puis d’impuissance on se tait. Ou alors on balance des onomatopées : Trump, par exemple. Et puis, parce que l’humour est une bouée, on lance : pas le moment d’acheter sur telle île, tel littoral. Oui, les insectes, les arbres, la vie. Et l’immobilier.
Lundi 18 février
Il fait un temps superbe aujourd’hui encore. Hier, j’ai commencé à tailler un premier pommier dans le verger. Les bourgeons pointent, les oiseaux chantent. ça sent le printemps et c’est bon ! Sur France Info, loin des gros titres, tout en bas de page, une vidéo : « C’est une catastrophe ce qu’il se passe en Antarctique ouest ». Le sujet d’inquiétude des scientifiques ? Un immense glacier de l’Antarctique ouest se désolidarise du continent blanc. « Un compte à rebours a débuté en Antarctique ouest. Et pour les scientifiques, l’issue ne fait plus aucun doute : cette partie du continent blanc est vouée à disparaître dans les années à venir. Le glacier Thwaites, l’un des géants de la zone de la mer d’Amundsen qui fait 120 kilomètres de large, 600 de long et atteint 3 km de profondeur par endroits, est de plus en plus instable. « Il fait à peu près la taille de la Floride », résume à franceinfo Jérémie Mouginot, chercheur au CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement à Grenoble… »
Au-delà de mon écran, les branches encore nues du bouleau dansent dans le vent. Le ciel est bleu, le soleil brille. Les scientifiques ont calculé que ce glacier peut entraîner une montée des eaux de plus de 3 mètres. A quelle échéance ? Quelques décennies, quelques siècles ? Tout dépend des énergies auxquelles carbureront nos sociétés à partir de maintenant.
Jeudi 14 février
« Avez vous mesuré le temps
Avez vous mesuré le vent
Avez vous mesuré la nuit
La vie
Viens avec moi mon vieux pays
le jour se lève
Levons nos rêves, aussi … »
Emily Loiseau compose cette chanson pour le mouvement des Coquelicots. 500 000 personnes se rassemblent en France chaque mois pour demander l’arrêt des pesticides. Des semailles de coquelicots et bleuets se préparent un peu partout. Pour que le printemps soit chantant, et non silencieux !
12 février 2019 – Préambule
Cela fait des années que les signes s’accumulent. Que les scientifiques alertent. Biodiversité, effondrement, extinction : mots généraux pour dire la disparition des sauterelles, des papillons, des grenouilles, des hirondelles, des alouettes, des rhinocéros, des tigres, des marais, des forêts et de ceux qui les peuplaient. Climat, réchauffement, CO2 : autres grands mots pour traduire fonte des glaciers, de la banquise, incendies, sécheresses, inondations, guerres, famines…
Il y a 10 ans, leurs yeux souriaient lorsqu’ils prononçaient ces paroles graves. Les faits, la vérité allait conduire les politiques à agir. Dans le même temps, de grosses et mâles voix ont tonitrué, se moquant de ces alarmistes. L’homme, responsable ? Quelle prétention ! Pendant la polémique, les oiseaux ont continué à mourir, les marais à dépérir, les glaciers à fondre, les miniers et pétroliers à extraire, les chimistes à inventer leur poisons, à les vendre pour que d’autres les répandent sur les terres, dans les eaux, les aliments…
Les scientifiques ont cessé de sourire. Les traits tirés, les cheveux plus gris, ils ne s’adressent plus seulement aux décideurs, dont ils ont éprouvé la vanité. Ils signent par centaines des cris d’alarme. Les faits sont têtus et la vie sur terre perd chaque jour des couleurs.
Pendant ce temps, les pillages continuent. Malheur à ceux qui s’y opposent, qui résistent ou dénoncent. Lorsqu’ils ne sont pas assassinés, ils sont matraqués, trainés au tribunal, emprisonnés ou condamnés à des amendes.
En France, les ministres de l’écologie démissionnent ou sont démissionnés. Ne restent que les borgnes au royaume des aveugles volontaires. On ne dit pas, d’ailleurs, écologie, mais « transition écologique ». Vaste blague. Les émissions de CO2 continuent de croître. Les consommations de pesticides aussi. Les oiseaux et les insectes continuent de disparaître. Les petits paysans aussi. On voudrait sauver le monde et son parachute doré. Réduire les émissions et rouler en SUV. Préserver la nature et ouvrir des Mac Do. Bronzer aux Antilles dans les hôtels de ceux qui les empoisonnent au chlordécone, tu déconnes ? Manger bio et pousser son caddy dans les allées du supermarché. Rester jeune et ignorer les 300 000 nouveaux cas de cancer chaque année en France.
Les fins de mois sont difficiles. Pas pour tout le monde mais presque. Il faudrait résoudre tellement de problèmes. Ne vous en faites pas : demain, on y repensera comme un paradis perdu. Celui d’une paix encore possible. D’une réparation encore à portée de main. D’un retournement encore jouable. Et qu’on a laissé passer, par abrutissement consenti.
Demain, quand les insectes seront encore plus rares. Quand les oiseaux des champs seront tous morts de faim, dans des champs aux terres stériles. Quand la fonte des glaces aura asséché les rivières et les fleuves. Quand la montée des eaux aura noyé les ports et les villes. Quand nos déchets auront fini d’intoxiquer les habitants des océans. Quand les réfugiés, ce sera nous et nos enfants, fugitifs pourchassés entre des murs gardés par des drones. Quand nos cœurs seront encore plus secs que les déserts que nous avons étendu sur terre.
Cela fait des années que je vois cela sans vouloir fermer les yeux, sans pouvoir faire davantage que mes actes : un livre, une maison d’édition, quelques engagement associatifs, les choix de vie et de consommation, actes d’amour et de vie, engagements quotidiens, si importants, si dérisoires. Quand je plonge dans les articles collectés, les informations recueillies depuis plusieurs années sont d’une cohérence effrayante. Parce qu’aujourd’hui encore, une information tombe, une de plus, j’ouvre ce journal d’une catastrophe annoncée. Plus personne ne peut dire « on ne savait pas ». On sait. On y va.
J’ouvre ce journal avec l’espoir, ténu mais tenace, que les actes qui se multiplient partout, les initiatives, les recherches, les solidarités, les créations, bref les forces de vie l’emporteront sur les forces de mort. Peut-être faudra-t-il en passer par la destruction pour renaître. Peut-être allons-nous vraiment tuer la beauté du monde, celle qui nous échappe, qui ne nous appartient pas et ne nous appartiendra jamais, mais qui nous est donnée jour après jour.
En l’ouvrant sur le site de notre maison d’édition, La nage de l’ourse, je souhaite que résonnent les chants oubliés.
Un jour, ou peut-être une nuit, il y a une vingtaine d’année, un poème m’est venu. Il m’apparait encore mystérieux, porteur d’une prophétie où se téléscopent passé et futur. Je l’exhume des pages d’un cahier, de la mémoire d’antique ordinateur, afin qu’il ouvre ce journal.
Nous sommes aussi les enfants d’un monde qui n’a pas existé
Un monde où les morts et les non-nés murmurent par milliers
lorsque le vent se plait à les écouter.
Sans le vent, nos paupières seraient si lourdes
Que nos yeux resteraient fermés à jamais.
Lundi 11 février 2019
Selon l’association Pollinis, les ministres de l’agriculture européens viennent de refuser la mise en place de tests qui auraient permis de prendre en compte de façon moins parcellaire les effets des pesticides sur les pollinisateurs. Si ces tests avaient été mis en place, les ¾ des pesticides –insecticides, fongicides, herbicides- auraient été recalés. « Le 24 janvier, réunis au sein d’un comité technique de l’Union européenne, le comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation [en anglais Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed (Scopaff)], ils ont décidé d’enterrer un document fondamental qui aurait permis d’enrayer le déclin dramatique des pollinisateurs en Europe. » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/06/il-est-temps-d-arreter-le-massacre-des-abeilles_5420072_3232.html)
Mardi 12 février 2019
La disparition rapide des insectes constitue l’une des plus grandes extinctions de masse depuis l’apparition de la vie sur Terre, estiment des chercheurs dans la revue Biological Conservation. Avec 41% d’espèces en déclin, la Terre perdrait chaque année 2,5% de sa biomasse.
http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-insectes-une-hecatombe-en-cours,96103
https://www.la-croix.com/Monde/insectes-declin-mondial-sans-precedent-2019-02-11-1301001752?from_univers=lacroix
https://www.lanouvellerepublique.fr/france-monde/les-insectes-un-declin-mondial-sans-precedent?utm_source=newsletter-recap-poitou&utm_medium=email&utm_campaign=mailing-2019-02-11
« La conclusion est claire: à moins que nous ne changions nos façons de produire nos aliments, les insectes auront pris le chemin de l’extinction en quelques décennies », soulignent les auteurs de ce bilan « effrayant », synthèse de 73 études, qui pointe en particulier le rôle de l’agriculture intensive.
Aujourd’hui, environ un tiers des espèces sont menacées d’extinction « et chaque année environ 1% supplémentaire s’ajoute à la liste », ont calculé Francisco Sanchez-Bayo et Kris Wyckhuys, des universités de Sydney et du Queensland.
Ce qui équivaut, notent-ils, « au plus massif épisode d’extinction » depuis la disparition des dinosaures.
« La proportion d’espèces d’insectes en déclin (41%) est deux fois plus élevée que celle des vertébrés et le rythme d’extinction des espèces locales (10%) huit fois plus, » soulignent-ils. »
N.B. ces 2 infos font écho à d’autres informations scientifiques publiées ces dernières années. Études après études, elles établissent le rôle actif dans cet écocide des produits massivement fabriqués et commercialisés par les multinationales de l’agrochimie : Bayer, Dow, Syngenta et consorts, produits vendus ensuite aux agriculteurs via les coopératives agricoles qui en tirent près de 40% de leur chiffre d’affaires, produits promus « protecteurs des plantes » par ces mêmes firmes qui nient toute responsabilité dans le désastre en cours.
Mercredi 13 février 2019
Une cinquantaine d’ours polaires sont arrivés en décembre 2018 sur les iles de Nouvelle-Zemble, dans la mer de Barents. L’archipel russe est peuplé d’environ 3000 personnes. Le 9 février, les autorités ont décrété l’état d’urgence. Les ours errent dans les zones habitées à la recherche de nourriture et se montrent parfois agressifs. Leur survie dépend de la capacité à bien se nourrir à la fin de l’hiver. La réduction de la banquise, leur territoire de chasse et de reproduction, les pousse à se déplacer vers d’autres sources de nourriture. Les autorités tentent de chasser ces réfugiés climatiques et envisagent de les abattre. L’ursus maritimus est en danger en raison de la hausse des températures.
https://www.lemonde.fr/climat/article/2019/02/12/l-archipel-russe-de-la-nouvelle-zemble-confronte-a-une-invasion-d-ours-polaires-agressifs_5422546_1652612.html